Article de fond rédigé par nos partenaires américains
Les bureaux familiaux au sein d’un monde changeant
Les effets des inégalités, de la pandémie et de la polarisation sur les bureaux familiaux
Lors d’un événement virtuel récent coparrainé par les Services aux bureaux familiaux de Fidelity et MetCircle, 75 dirigeants de bureaux familiaux et divers membres de familles de différentes générations des États-Unis et d’ailleurs se sont réunis pour parler de la façon dont la dernière année a affecté leurs activités (tant sur le plan professionnel que personnel).
Pendant l’événement, les participants ont examiné les risques et les occasions qui ont fait surface depuis le début de la pandémie (agitation sociale, politisation générale). Nous savons qu’il est extrêmement tentant (selon les commentaires de nombreux bureaux) de vouloir revenir à la « normalité ». Mais voulons-nous vraiment que les bureaux familiaux redeviennent ce qu’ils étaient en 2019? Est-ce même possible? Pour être honnête, ce serait probablement nuisible pour les familles que nous servons – et plus ou moins futile.
Pourquoi? Parce que les familles et les équipes ont évolué, ce qui en soi n’est ni bon ni mauvais. Les familles peuvent profiter des circonstances actuelles pour faire en sorte que leur bureau familial respecte davantage leur vision de la réussite et soutiennent mieux leur nouvelle définition de prospérité.
Pour aider à cerner certaines de ces occasions et pour amorcer des conversations exploratoires, nous avons posé ces deux questions :
- Comment les événements survenus depuis le début de 2020 nous ont-ils affectés (en tant que personne, famille ou bureau familial)?
- Quels risques ou occasions ces changements ont-ils créés?
Comme on pouvait s’y attendre, bien des participants avaient constaté que des changements s’étaient produits au sein de leur famille, pour la plupart dans certaines des catégories suivantes :
- une sensibilisation accrue à la place qu’ils occupent dans le monde, généralement exprimée par la notion de privilège;
- une empathie accrue envers autrui;
- un nouvel engouement pour la recherche de simplicité, de bonheur, d’autocompassion et d’un mode de vie plus conscient; et
- une conscience accrue de leur mortalité (qui explique certains des autres changements ci-dessus).
En ce qui a trait à la gestion d’une équipe et d’un bureau familial, de nombreux dirigeants ont aussi indiqué qu’ils se sentaient plus capables de s’adapter ou d’avoir l’esprit ouvert et qu’ils étaient prêts à abandonner leurs vieilles conceptions et à prendre un « nouveau départ ».
Dans l’ensemble, les changements dont il a été question étaient extrêmement positifs, bien davantage que ce que j’ai entendu lors de discussions plus intimes ces derniers mois. Je ne sais pas si c’est parce que les perspectives s’améliorent à mesure que nous laissons derrière nous les pires jours de la pandémie, ou si c’est simplement parce que nous hésitons à exprimer des sentiments négatifs dans une discussion en groupe.
L’aspect positif a cependant été compensé par l’apparition de plusieurs nouveaux risques liés aux familles, notamment :
- des conflits intergénérationnels en ce qui a trait aux valeurs, à la vision du monde et aux priorités;
- Une famille, par exemple, était en train de procéder à la transmission des pouvoirs de la deuxième à la troisième génération lorsque la pandémie est survenue. À défaut de pouvoir se réunir dans le cadre des activités de l’entreprise, la famille (qui était également répartie à la grandeur du pays) avait besoin de communiquer pour mettre en œuvre un plan de transition. Après avoir mis des mois à élaborer un plan convenant aux deux générations, la famille a fini par faire appel à un consultant pour intégrer une perspective impartiale à son processus décisionnel. À l’issue de discussions dirigées et d’encadrement, la génération âgée était prête à transférer le contrôle du bureau familial à la prochaine génération et à adopter sa vision.
- un engagement d’un plus grand nombre de membres, augmentant la complexité et le nombre d’opinions;
- À titre d’exemple, un chef de conseil de famille a expliqué comment la pandémie a rapidement amené la jeune génération à participer, car elle était impatiente d’exprimer son opinion sur les activités de la famille compte tenu des troubles politiques et sociaux au pays. Les grands-parents ont été forcés d’avoir des conversations difficiles au sujet des accords et des politiques d’utilisation des terres qui étaient en place bien avant la naissance de la cinquième génération.
- un refus de la génération âgée d’abandonner le contrôle;
- Nous avons vu d’innombrables exemples de familles qui ne planifiaient pas adéquatement le décès du patriarche, parce que cela est une conversation difficile. Un nouveau risque est apparu, soit celui de voir certains membres de la génération âgée résister au mouvement de « conscientisation », en s’opposant farouchement à évoluer avec le reste du monde.
Il y avait aussi de nouveaux risques qui remettaient en question le dynamisme du bureau familial et de son équipe, notamment :
- la dégradation de la culture du bureau;
- les difficultés à collaborer et à communiquer avec les personnes éloignées;
- la crainte de ne pas avoir appris ou d’avoir perdu une occasion de renouvellement;
- le retour non souhaité au stress du quotidien; et
- les changements sur le plan humain (pour les employés et les membres de la famille) et l’harmonisation des valeurs et des priorités.
Un bureau participant a même été jusqu’à débattre longuement de la nécessité d’un bureau familial.
Occasions
Cependant, à la lumière de tous ces risques, nous avons été en mesure d’identifier cinq occasions pour les bureaux familiaux et les familles qu’ils servent.
Occasion 1 : Envisagez les frictions comme un instrument de progrès
Lors de nos conversations avec les bureaux et les familles, nous avons constaté que les échanges étaient plus francs, qu’il y avait plus de discussions et que cela permettait de prendre du recul et de penser à l’avenir. Pour les familles, l’occasion la plus souvent évoquée était de profiter des frictions et des conflits de valeurs et de points de vue pour débattre, ce qui leur permettait de s’engager.
L’engagement, même s’il est risqué ou inconfortable, est le contraire de l’apathie et de l’indifférence. Il est nécessaire à la discussion, à l’apprentissage et à l’inclusion. Il peut certainement diviser la famille ou aliéner certains membres, mais le plus souvent, il mènera à une évolution nécessaire et à un nouvel ensemble d’idéaux, de priorités ou de convictions qui auront plus de signification pour la famille (et qui seront donc plus efficaces pour établir une affinité entre ses membres).
Disons-le, tout cela ne s’est pas fait sans embûches. Bien des bureaux ont été forcés d’accepter ce conflit uniquement parce qu’ils y ont été confrontés directement. Nous avons aussi entendu dire que de nombreux bureaux ne débattaient pas de ces enjeux parce qu’ils refusaient de croire qu’il y avait un problème. Si vous ne voyez pas ces conflits, prenez un moment pour vous demander si c’est parce que vous n’êtes pas en mesure de les voir. Agissez-vous de façon à mettre fin à la discussion involontairement? Peut-être que vous avez l’habitude d’éviter les conflits lorsque c’est possible, alors que la réalité exige de s’attaquer aux problèmes de front et de débattre.
Au cours de notre rencontre, nous avons entendu parler d’une famille dont la jeune génération accusait la génération âgée d’être carrément raciste, en raison de certaines transactions passées. Un échange animé a fini par donner lieu à une discussion productive et, en fin de compte, les deux générations ont décidé de collaborer pour créer de nouvelles politiques encadrant les décisions comme l’embauche des gestionnaires de placements.
Occasion 2 : Soyez prêts à prendre un nouveau départ
Dans le sondage que nous avons distribué à la réunion, nous avons demandé si les participants utilisaient ce point d’inflexion pour tenter de comprendre ou de changer leur façon de fonctionner. Quarante pour cent ont dit oui. Une des familles a passé beaucoup de temps à réfléchir à la façon dont elle structurerait son bureau différemment si elle le créait aujourd’hui. Un membre du groupe a expliqué que sa famille était en train de construire un nouvel espace de bureau qui serait un lieu de rassemblement pour préserver la relation entre les membres de la famille et les dirigeants.
Occasion 3 : Mobilisez et développez la jeune génération
Nous avons brièvement évoqué un scénario dans lequel la génération montante participait activement à des conversations productives avec les générations âgées. Nous avons vu plus d’occasions de participation pour les jeunes générations au cours des 16 derniers mois, surtout grâce aux plateformes technologiques comme Zoom, qui ont facilité les réunions de famille. Tout le monde a ainsi la possibilité de s’exprimer, ce qui permet de proposer de nouvelles idées.
Dans bien des familles avec lesquelles nous avons travaillé, les parents ont acquis une nouvelle perception de leurs enfants à la suite du temps passé ensemble en isolement. Ils ont réalisé que leurs enfants étaient devenus des adultes intelligents et compétents et qu’ils pouvaient peut-être commencer à collaborer avec eux. Cette nouvelle attitude, combinée aux plateformes technologiques, a contribué à restructurer certaines relations hiérarchiques au sein du système familial, pour les remplacer par un rapport d’égalité qui permet à la génération âgée et à la jeune génération de partager des idées et de s’écouter mutuellement sans que les conversations soient entravées par la structure hiérarchique.
La communication accrue a également permis de discuter de la transition du processus décisionnel, ainsi que du désir de créer des changements sociaux et environnementaux, sujets qui ont souvent engendré des tensions au sein de la famille. Nous avons constaté que la prochaine génération remet en question le statu quo sur ces points :
- À quoi sert le patrimoine de la famille?
- Pourquoi former une famille?
Dans d’autres cas cependant, la jeune génération a mis du temps à s’impliquer. Les membres d’un bureau ont relaté que, surtout aux premiers jours de la pandémie, la jeune génération d’une certaine famille ne semblait pas s’inquiéter du déroulement des événements, choisissant d’afficher sur Instagram des photos de vacances sur la plage à un moment où l’entreprise familiale avait été forcée de mettre à pied 95 % de ses employés. Les jeunes ont finalement eu une réalisation lorsqu’ils ont cessé de recevoir leurs chèques de distribution, ce qui les a forcés à réaliser la portée de cet événement mondial.
La jeune génération a commencé à s’intéresser au bureau familial lorsqu’elle était prête à en apprendre davantage sur l’entreprise familiale. Le chef de la direction de l’entreprise a ainsi pu répondre directement aux questions des jeunes et recueillir leurs points de vue sur l’entreprise, ce qui les a encouragés à lui faire confiance. En fin de compte, cela a rapproché les membres de la famille.
Occasion 4 : Repensez votre bureau familial
Au cours des seize derniers mois, les bureaux ont eu le temps de réfléchir à leurs décisions et aux processus actuels, majeurs comme mineurs, et d’évaluer ce qui fonctionnait et ce qui pouvait être amélioré. La pandémie a créé un sentiment d’isolement chez beaucoup de gens, obligeant les bureaux de gestion à faire preuve de créativité pour créer des canaux de communication et d’information intéressants, dynamiques et productifs. L’un de ces bureaux est même devenu le principal point de contact entre toutes les générations lors de cette période, publiant un bulletin d’information hebdomadaire et organisant régulièrement des 5 à 7 sur Zoom pour que les différentes générations se rencontrent.
Un autre bureau familial a décidé qu’il se devait d’être plus qu’un simple conseiller en placement inscrit. Il s’est demandé à quoi cela servait d’être une famille si l’unique but, vision, objectif ou affinité était d’assurer la gestion rentable du patrimoine. En fait, il voulait que le concept de famille joue un rôle central dans le bureau familial. Cela s’inscrit dans l’idée de Jay Hughes, qui fait valoir que pour dépasser ensemble la troisième génération, les familles doivent devenir des « familles d’affinité », dont les membres partagent un ensemble de valeurs communes et travaillent activement à les atteindre.
Occasion 5 : Renouez avec vos employés
Au cours de notre réunion, une dirigeante d’un bureau familial nous a transmis sa plus grande observation à la fin de l’an dernier : elle a remarqué que son équipe de soutien et le reste des employés du bureau (chefs des placements, personnel administratif, etc.) avaient appris à s’exprimer et faisaient preuve d’une confiance accrue. Encouragés par le fait qu’ils pouvaient accomplir leur travail de façon compétente à partir de chez eux, ils ont commencé à repenser la culture du bureau et à s’interroger sur les caractéristiques d’un milieu de travail agréable. La dirigeante était préoccupée, car au moment où son bureau préparait le retour des employés sur place, elle se disait que les personnes de talent partiraient à la recherche d’emplois qui leur offriraient un horaire de travail flexible et des options de télétravail. Elle a également remarqué que l’éloignement physique et le télétravail avaient ébranlé en partie la hiérarchie du bureau, et que les employés donnaient plus fréquemment leur opinion sur la gestion du bureau. Elle a profité de cette occasion pour améliorer la satisfaction des employés en créant un horaire de travail hybride flexible et en adoptant des outils de communication qui permettaient aux employés de fournir régulièrement leurs commentaires à la direction.
Conclusion
Les familles et les équipes sont différentes de ce qu’elles étaient au début de 2020. Il serait insensé d’adopter les mêmes processus et attitudes qu’avant la pandémie dans ce nouvel environnement en constante évolution. En cernant les changements survenus au sein de leur organisation et en découvrant les occasions créées par ces changements, les bureaux familiaux partageront davantage la vision de réussite de la famille, à court et à long terme.